A Annaba, des bénévoles se battent pour sauver une mosquée du XVIIIe siècle
Un architecte de 40 ans s’est lancé dans la rénovation de la seule mosquée ottomane de la ville en fédérant autour de lui plusieurs artisans
Quand Riad Slimani s’est lancé dans l’aventure, il ne pensait pas qu’elle serait aussi difficile. Voilà plusieurs années que cet architecte de 40 ans, natif de Annaba, se démène pour rénover Djamaâ El Bey, la seule mosquée ottomane de la ville.
Situé dans la vieille ville, l’édifice religieux aurait été achevé le 12 août 1792, quelques jours seulement avant l’assassinat de Salah Bey Ben Mostefa, le célèbre bey de Constantine, dont le pouvoir s’étendait jusqu’à Annaba et qui avait ordonné la construction de la mosquée.
Plus de 200 ans plus tard, l’édifice religieux retrouve peu à peu son lustre d’antan grâce aux efforts acharnés d’un groupe de bénévoles composé d’architectes, d’artisans et d’ouvriers. Certains d’entre eux, qui ont commencé dans le cadre de prestations rémunérées, ont été séduits par l’initiative et ont fini par intégrer pleinement le projet en mettant à disposition leur temps et leur savoir-faire.
« Un menuisier, qui a son propre atelier, nous a construit la bibliothèque contre rémunération, puis il s’est intéressé à la façon dont on travaillait et il a poursuivi avec nous de manière bénévole pour restaurer le minbar, la porte de la mosquée puis les portes de la salle d’ablutions dans un style authentique ottoman », raconte Riad à MyAlgeria.
Au-delà du problème de financement des travaux et d’achat des matériaux, qui se font intégralement grâce aux dons de citoyens vivant en Algérie ou à l’étranger, il faut aussi trouver les mains expérimentées.
C’est en cherchant longuement sur les réseaux sociaux que Riad Slimani tombe sur de vrais talents. Il fait venir un sculpteur sur pierre de Tissemsilt qu’il parvient à loger gratuitement chez un ancien bénévole qui possède un hôtel.
L’un des plus anciens minbars d’Algérie
Il trouve ensuite un sculpteur sur bois égyptien qui vit à Alger. « C’est un véritable artiste, il a sculpté les ornements qui avaient disparu sur le minbar [la chaire] et il a aussi travaillé la chaise qui sert aux conférences de l’imam », indique Riad.
Il y a vingt ans, le minbar sur lequel se place l’imam pour faire son prêche a été gravement endommagé par des extrémistes. « C’était l’époque des années noires. Ils l’ont coupé en deux pour réduire sa longueur – alors que c’est l’un des plus anciens minbars d’Algérie– puis ils l’ont remplacé par un autre. L’imam avait rangé le minbar d’origine dans une pièce, il avait peur que ces personnes le cassent, car il avait des motifs, des ornements », indique le bénévole.
L’architecte, qui a étudié à l’université de Annaba avant de poursuivre avec une spécialité en patrimoine à l’Ecole nationale d’architecture de Marseille, passe une grande partie de son temps à la recherche d’archives et de documents historiques qui permettent de guider le travail de restauration.
« A travers les recherches et surtout les vieilles photos que j’essaie de comparer, j’ai trouvé le même style de minbar à Constantine. En remontant la piste, on comprenait qu’à l’époque, le bey, qui était un passionné d’architecture, avait fait appel à des Italiens. Les ateliers qui travaillaient à Constantine travaillaient aussi à Annaba », explique-t-il.
La ville, connue notamment sous les noms de Hippone et Bône avant de devenir Annaba, a été traversée par plusieurs civilisations. Elle recèle un patrimoine architectural et urbain incalculable.
Sur le modèle de Sainte-Sophie à Istanbul
Mais de nombreux monuments demeurent non classés et ne bénéficient d’aucune protection. Pour éviter de les voir disparaître, les bénévoles ont donc pris les devants en initiant des travaux de longue haleine afin de sauver la mosquée bicentenaire Djamaâ El Bey. « Des mosquées avec des coupoles à la Sofia [sur le modèle de la mosquée Sainte-Sophie à Istanbul], il n’y en a pas beaucoup en Algérie. Les minarets circulaires à la turque, il n’y en a que deux, un à Annaba et l’autre à Constantine ; donc elle est unique, et c’est la seule mosquée en Algérie qui a un sous-sol pareil », poursuit Riad.
Tout commence alors en octobre 2016 avec le minaret de quinze mètres. Avec Myriam, une amie architecte, ils le trouvent dans un état « catastrophique ». L’accès y était interdit depuis plusieurs années. Les infiltrations d’eau et les pigeons avaient largement endommagé cette partie de l’édifice avant que les deux amis décident de le nettoyer.
Ils enchaînent alors avec une opération de restauration grâce à un premier don octroyé par un habitant de la ville qui lisait assidûment Annaba Patrimoine, un site créé en 2013 par Riad Slimani. A travers celui-ci, le jeune homme recense les monuments de Annaba, qu’ils soient existants ou disparus.
Aujourd’hui, le travail des bénévoles est ralenti par le manque de financements. « Il y a des donateurs fixes, puis des donateurs ponctuels », expliquent ces derniers. Le groupe de bénévoles passe par le bouche-à-oreille et privilégie les travaux les plus urgents.
Jusqu’à aujourd’hui, ils sont parvenus à réhabiliter et à restaurer plusieurs parties de la mosquée dont la salle d’ablutions, l’acrotère [socle placé aux extrémités ou au sommet d’un fronton pour servir de support] du toit, le tunnel du sous-sol, le puits avec sa pompe manuelle, le minbar et le minaret circulaire. Ils ont également protégé les coupoles en refaisant l’étanchéité.
« Avec des moyens basiques, nous arrivons à faire des choses », ne cesse de répéter Riad qui appelle les Algériens, où qu’ils habitent, à prêter un œil attentif au patrimoine qui les entoure. En plus de la rénovation, le bénévole rêve de créer une petite salle d’exposition à l’intérieur de Djamaâ El Bey pour expliquer son histoire et mettre en valeur les objets d’origine retrouvés dans l’édifice.