Le foot, inépuisable « source de joie » des Algériens
Après le sacre de la Coupe arabe, les Algériens vibrent à nouveau avec les Verts qui doivent défendre leur titre de champion lors de la Coupe d’Afrique des nations du 9 janvier au 6 février 2022. Une passion pour le football qui remonte au début du XIXe siècle
Des briques sont placées aux deux extrémités de la placette publique. Ces pierres rectangulaires, qui marquent la place du gardien, indiquent qu’une partie de football est sur le point d’être disputée ici. Au milieu du terrain réaménagé, des enfants élaborent leur tactique de jeu et se départagent les places à occuper avant de les rejoindre et d’attendre le sifflet de l’arbitre.
La partie vient de commencer et les cris des équipes commencent à drainer un public principalement composé de seniors qui viennent se remémorer les souvenirs d’antan. L’air sérieux. Les bras croisés en arrière, ces pères et grands-pères admirent ces joueurs comme s’ils étaient des dirigeants de club venus repérer de nouveaux éléments.
Les enfants se prêtent au jeu, rêvant de pouvoir un jour revêtir un maillot avec leur propre nom. Aujourd’hui, leurs équipements portent ceux de leurs joueurs préférés. Ici, il y a des Mahrez, des Belaili, des Slimani, mais aussi des Messi et des Ronaldo.
Cette scène fait partie de la vie des Algériens, chaque jour dans les différents quartiers des villes et villages du pays où la passion pour le football est enracinée. Si l’amour pour le ballon rond est hérité de père en fils, c’est parce que le football fait partie intégrante de l’histoire contemporaine de l’Algérie.
Le prologue de cette épopée remonte au début du siècle passé, à l’aurore du nationalisme algérien face à la colonisation française.
Déjà fervents supporteurs des différents clubs locaux, les Algériens commencent à se réunir autour d’une équipe nationale après le déclenchement de la Guerre de libération nationale.
« Le football fait partie intégrante de la société algérienne »
Nazim Bessol, journaliste sportif et co-auteur avec son père de La fabuleuse histoire de la Coupe d’Afrique du Nord ou les carnets secrets de la Mauresque 1930-1956, publié en 2021, raconte à MyAlgeria : « Le point de départ est souvent associé à l’équipe du Front de libération nationale (FLN), en 1958. Mais avant, il y avait l’ancêtre de l’équipe du FLN qui est l’équipe de l’ALN (Armée de libération nationale). »
« C’est-à-dire que le football a toujours été un instrument de lutte ou de médiatisation de la cause nationale. Et par la suite, il y a eu toutes les générations qui sont venues après cette équipe du FLN, qui s’est arrêtée à l’indépendance et qui est devenue l’équipe nationale de l’Algérie », poursuit-il.
Les Algériens ont ainsi amorti le ballon durant la période du mouvement nationaliste et l’ont conservé jusqu’à l’époque post indépendance. Le football fait désormais « partie intégrante de la société algérienne », assure Nazim Bessol.
« Où que vous vous promeniez en Algérie, vous allez trouver au moins deux gamins en train de taper dans un ballon ou même un ballon confectionné avec les moyens du bord. Le football fait partie intégrante de la société algérienne. Quand on voit le rôle qu’il a joué pendant la Guerre de libération nationale et le ciment qu’il a été, il est normal que par la suite il soit devenu un des principaux étendards du pays et de la société », indique le journaliste sportif.
Cette passion, devenue par la suite « un phénomène social », a fait de l’Algérie « un réservoir incroyable de joueurs, quand on voit les noms talentueux dans toutes les générations depuis l’équipe de l’ALN jusqu’à maintenant. […] L’un des secrets des footballeurs algériens, c’est d’avoir joué dans la rue », poursuit notre interlocuteur.
Makhloufi, Bentifour, Belloumi, Assad, Cerbah… Tous ces noms de joueurs et bien d’autres sont venus, par leur succès, consolider la relation du football avec le peuple, estime Nazim Bessol.
« Le retour au stade Mustapha Tchaker après deux années d’absence a fait ressentir des sensations et des frissons que seul le football peut provoquer. »
– Nazim Bessol
Les Algériens sont restés fidèle à leur équipe nationale, la suivant dans tous ses déplacements, dans le pays comme à l’international, jusqu’à ce que la pandémie du COVID-19 les freine.
Contraints à une relation à distance pendant près de deux ans, les Algériens se sont retrouvés dans les stades en novembre 2021 et la passion était toujours au rendez-vous.
La Fédération algérienne de football (FAF) a annoncé la vente des 14 000 billets mis en vente pour le match Algérie-Burkina Faso en moins de 24 heures. Le 16 novembre 2021, le slogan « One, two, three, viva l’Algérie » a de nouveau retenti dans les gradins.
« Le retour au stade Mustapha Tchaker après deux années d’absence a fait ressentir des sensations et des frissons que seul le football peut provoquer. C’est impressionnant. D’autant qu’il avait plu durant toute la semaine. L’image qui me revient, c’est l’arrivée à Blida en voiture et la vue de ces centaines de spectateurs et de supporteurs qui rentraient dans le stade, trempés de la tête au pied. C’est vrai que ça a été des retrouvailles très émouvantes et très marquantes, notamment pour les joueurs », raconte Nazim Bessol à MyAlgeria.
Champions de la Coupe arabe
Cette journée a aussi été passionnément vécue par Meriem, une jeune étudiante de 22 ans. Elle nous raconte : « C’est très différent quand on les voit courir à la télé et quand ils jouent à juste quelques mètres de nous ! On crie en croyant qu’ils nous entendent. On a l’impression d’être avec eux sur le terrain, c’est exceptionnel, surtout au moment du but ou encore lors des penaltys ; c’est mille fois plus stressant que lorsqu’on est chez nous. »
« L’autre chose qui m’a marquée, ce sont les gradins où étaient réunis les Algériens parmi lesquels plusieurs personnalités nationales telles que la comédienne Biyouna. C’était exceptionnel parce qu’on partageait tous la même passion et le même sentiment à ce moment-là ».
Ces scènes d’effervescence ont aussi été retransmises du Qatar lors de la Coupe arabe de la FIFA 2021, qui a d’ailleurs été remportée par l’Algérie. Les images témoignent du soutien indéfectible des Algériens aux « Fennecs », aussi appelés « combattants du désert ».
Quelques jours après le sacre de la Coupe arabe, les supporteurs sont de nouveau transportés, alors que commence la Coupe d’Afrique des nations (CAN) durant laquelle les Verts, dirigés par Djamel Belmadi, devront défendre le titre remporté en 2019.
« C’est la fête à chacune des rencontres de l’équipe nationale. A chaque match, le quartier est en effervescence. Un datashow est installé sur la placette et les jeunes du quartier se regroupent tous autour. Nous avons hâte de revivre cette excitation dans le cadre de la CAN », témoigne à MyAlgeria Fatima, jeune résidente du quartier du 1er-Mai.
C’est sans doute parce que le football est pour les Algériens une inépuisable « source de joie », que l’actuel sélectionneur national Djamel Belmadi – qui cumule 35 matchs sans défaite – s’est vu attribuer le titre de « ministre du Bonheur ».