Elles توrnent, un festival pour soutenir les professionnelles algériennes du cinéma
Zoulikha Tahar et Rima Kerkebane, deux artistes et réalisatrices, ont créé « Elles tournent », un festival de cinéma, dont la première édition s’est tenue les 9 et 10 mars à Oran
Zoulikha Tahar, 29 ans, et Rima Kerkebane, 29 ans, se sont rencontrées à la Fémis, l’Ecole nationale française supérieure des métiers de l’image et du son.
Chaque année, cette institution accueille douze à quinze jeunes professionnels ou étudiants du cinéma de moins de 30 ans du monde entier. « Nous avons fait des films documentaires, mais nous n’avons pas réussi à les montrer en Algérie », explique Zoulikha Tahar, autrice et réalisatrice, à MyAlgeria. Les deux jeunes femmes décident alors de fonder les journées du film de femmes à Oran qu’elles nomment Elles توrnent.
La première édition a eu lieu les 9 et 10 mars à l’Institut français d’Oran, et a permis la diffusion de onze formes documentaires (court-métrages, moyen-métrages et formes sonores) : Une vie d’essais, de Zoulikha Tahar; Les filles de la montagnarde, de Wiame Awres, Dis-moi Djamila, si je meurs comment feras-tu ? de Leïla Saadna, Paris, mépris !, de Rima Kerkebane, Paroles de sourds, de Imène Salah, Position, de Sara Kheladi, La grosse moula ou li michan, d’Amira Louadah, Drapeau du japon, de Nesrine Benyahia, Ain el safra… le désert des attractions, de Khadidja Markemal, Ghorba légende, d’Amel Kateb, El Mendjour, d’Assia Khemici ; et celle d’un long métrage de fiction, Jusqu’à la fin des temps, réalisé par Yasmine Chouikh.
Les deux fondatrices du festival conçoivent leur projet comme une opportunité de diffuser des films tout au long de l’année : « Comme la salle de cinéma de l’Institut français d’Oran existe, notre but est que l’on puisse faire un événement tous les trois ou quatre mois, en plus du festival, pour qu’une réalisatrice qui a fait un film, et qui a du mal à le montrer, puisse nous écrire pour nous le proposer et qu’on organise une projection », détaille Zoulikha Tahar.
Pour elle, il est également important de penser à cette édition comme le « début » d’un projet long destiné à soutenir l’activité cinématographique des femmes : « Nous devons commencer par le début. Le début, ce sont les possibilités de formation », explique-t-elle.
Ainsi, Habiba Djahnine, poétesse, cinéaste, programmatrice de films et pédagogue, a présenté le collectif Cinéma Mémoire qu’elle a créé en 2007. Ce collectif organise des ateliers de création de films documentaires et son activité a permis la production de 28 films documentaires.
Les films projetés le 9 mars de Wiame Awres et Leïla Saadna ont été produits dans ce cadre. Ahlem Gharbi, directrice de l’Institut français, a également présenté les différents dispositifs de soutien que propose l’institution.
Ainsi, les Laboratoires d’Alger sont organisés chaque année depuis 2014 et ouverts à douze jeunes professionnels « ayant déjà une pratique professionnelle du tournage et du montage ». L’Institut français permet également à un jeune réalisateur d’accéder, grâce à une bourse, à la formation d’été de la Fémis, à laquelle ont participé les fondatrices du festival.
Créer un réseau et des solidarités
Elles توrnent est également le prolongement d’un travail qui s’était effectué via les réseaux sociaux : dans un groupe privé créé en 2020, de jeunes professionnelles s’échangeaient des conseils pour connaître leurs droits lors des tournages ou le montant des cachets qu’elles pouvaient demander et réfléchissaient également aux représentations des femmes dans les images.
A Oran, Sabrina Boukhoussa, consultante en communication inclusive, a animé un atelier sur le sexisme dans les productions audiovisuelles.
Au-delà de l’image des femmes à l’écran, les deux réalisatrices voulaient prendre le temps de discuter avec le public de l’image qui est véhiculée sur les femmes qui travaillent dans le cinéma.
« La question est : qu’est-ce que la volonté de vouloir être actrice, réalisatrice ou technicienne engage dans nos familles d’abord et dans la société ensuite ? Beaucoup de femmes ne font pas ces métiers à cause de ce regard-là », explique Rima Kerkebane. « En déconstruisant les représentations des femmes artistes, on essaye également de lutter contre l’autocensure », ajoute Zoulikha Tahar. La table ronde a été animée par Laalia Bedjaoui, coach en culture d’entreprise, conférencière et assistante de production.
Dans l’objectif de soutenir les femmes du secteur cinématographique, Zoulikha Tahar et Rima Kerkebane ont décidé de rémunérer les intervenantes.
« On sait que c’est un métier passionnant, mais précaire. Cette précarité on la connaît », résume Zoulikha Tahar.
Par ailleurs, elles veulent permettre que le réseau qui se crée pendant cet événement soit une opportunité de travail et de collaboration, pour « redonner du souffle au cinéma algérien », soulignent-elles dans un communiqué.
« Les rencontres que j’ai faites à la Fémis me nourrissent. Le but pour les prochaines éditions est de créer un événement pour que les réalisatrices passent du temps ensemble, se rencontrent et qu’il y ait une continuité », explique Zoulikha Tahar
« On peut ainsi avancer en tant que collectif, proposer des choses en continu. Si une femme fait un film, elle peut par exemple faire travailler des femmes qu’elle a rencontrées au festival », ajoute Rima Kerkebane.
Enfin, les deux réalisatrices espèrent que Elles توrnent pourra accueillir des réalisatrices d’autres régions du monde lors des prochaines éditions, « afin d’élargir le débat et d’offrir un réseau multiculturel aux cinéastes algériennes ».