La Sittelle kabyle, ce petit oiseau qui fait courir le monde
La Sittelle kabyle (nom scientifique Sitta ledanti) appelée encore Sittelle de Ledant – du nom de son découvreur –, endémique à une région de l’Algérie, est l’emblème de l’avifaune algérienne depuis sa découverte en 1976 dans le mont Babor
C’est un joli piaf qui tiendrait entre le pouce et l’index. Une taille moyenne chez ce passereau qui ne pèse pas plus de 20 grammes.
Son plumage marie à ravir le gris bleuté de son dos avec le beige saumoné clair de son ventre. La tête est blanche avec ce sourcil noir qui prolonge le bec gris bleuté.
Dans son milieu naturel, il est impossible de le confondre avec un autre oiseau : il a de plus la particularité de se déplacer le long des troncs la tête en bas.
La Sittelle kabyle (nom scientifique Sitta ledanti) appelée encore Sittelle de Ledant – du nom de son découvreur –, endémique à une région de l’Algérie, est l’emblème de l’avifaune algérienne depuis sa découverte en 1976 dans le mont Babor qui se dresse jusqu’à 2004 m d’altitude entre Sétif et la mer.
Elle creuse son nid dans les troncs des sapins de Numidie mais affectionne aussi le cèdre de l’Atlas, le chêne zéen, le chêne afarès et le chêne-liège.
La Sittelle se nourrit d’insectes en été et de graines d’arbres l’hiver. Son chant est caractéristique si on a une bonne oreille. Il existe aujourd’hui, disponibles sur internet, d’excellents enregistrements des chants et des cris de mâles, des femelles et des juvéniles.
Une découverte qui a fait le tour du monde
Comme toutes les grandes découvertes, celle de la Sittelle kabyle dans la sapinière qui coiffe le Djebel Babor est le fruit du hasard.
Un hasard à mettre en parenthèses, a précisé son découvreur, Jean Paul Ledant, lors de conférences données à Alger, Sétif et Babor dans le cadre de la commémoration de cet événement en 2016, 40 ans plus tard.
« C’est un coup de chance, je cherchais le sapin de Numidie », a raconté le conférencier invité pour la célébration de la Journée mondiale pour la biodiversité, le 22 mai 2016.
Entre 1974 et 1977, Jean Paul Ledant est un jeune enseignant coopérant de nationalité belge à l’Institut national d’agronomie (INA) d’El Harrach devenu depuis l’Ecole nationale supérieure d’agronomie (ENSA).
Il enseigne la foresterie et c’est aussi un passionné des oiseaux, comme le sont généralement tous les forestiers. Il a entendu parler d’une sapinière, une forêt de sapins, d’un genre unique, la seule d’Afrique, couvrant le sommet de ce djebel dont la réputation d’inaccessibilité s’est forgée devant les assauts infructueux de nombre de naturalistes.
Avec ses 2004 mètres d’altitude, le Babor est le plus haut sommet de la chaîne de montagnes qui porte son nom : les monts Babors. Elle sépare les plateaux sétifiens de la mer et forme l’arrière-plan découpé de la côte de saphir lorsqu’on la découvre des hauteurs de Béjaïa.
« C’est là que je l’ai entendue chanter »
La neige qui arrive fin octobre pour ne disparaître qu’en avril isolait complètement ce site et le protégeait efficacement avant la réalisation récente d’une route asphaltée.
Des collègues enseignants de Jean-Paul Ledant se sont lancés sans succès à la conquête du sommet une bonne dizaine de fois.
« La première fois que j’ai tenté l’escalade, c’était en décembre 1974. La route n’existait pas encore, il n’y en avait qu’un bout et il était très risqué. Et à pied, c’est une expédition de plusieurs kilomètres pour laquelle nous n’étions pas préparés et le froid a vite eu raison de nous », a-t-il témoigné.
« En octobre 1975, je suis enfin arrivé au sommet avec deux collègues et compatriotes. J’ai pu voir le sapin de Numidie tant espéré et me promener allègrement dans la sapinière. C’est là, seul, à l’écart des autres, que j’ai entendu chanter une sittelle. Aucune des deux espèces de sittelles connues pour l’Europe, la Sittelle torchepot et la Sittelle corse, découverte qu’en 1983, ne sont signalées en Algérie. J’ai alors pensé que ce ne pouvait être que la Sittelle corse qui s’est déplacée vers le Sud.»
Jean-Paul Ledant fait part de ses observations à Heim de Balzac, un ornithologue français de l’Ecole nationale supérieure de Paris, fort réputé, spécialiste de l’Afrique du Nord, né au XIXe siècle. Il est alors pris pour un farfelu mais obtient malgré tout une réponse : il est chargé d’attraper un individu de sittelle et de l’expédier dans une petite boîte.
En avril 1976, Ledant, accompagné de Paul Jacobs, un collègue de l’INA, passionné aussi d’ornithologie, refait l’ascension du Babor. Il y a encore de la neige au sommet mais il fait moins froid qu’en décembre. Qu’à cela ne tienne, ils ont pris des dispositions et campent trois jours. L’oiseau fait son apparition le troisième jour. Les explorateurs restent dans la sapinière et ne descendent pas pour se réchauffer.
Un retentissement mondial
Fort de ce double témoignage, Ledant reprend langue avec l’ENS de Paris et Henri Heim de Balzaac. Il envoie en juin-juillet 1976 l’un de ses jeunes collaborateurs, Jacques Vieillard, qui va faire la description de cette nouvelle espèce de sittelle qui portera le nom commun de Sittelle kabyle et le nom scientifique de Sitta ledanti en hommage à son découvreur opiniâtre et déterminé.
L’article scientifique est publié quelques semaines plus tard. Très attendu par la communauté scientifique, son retentissement est mondial.
Voilà un siècle qu’on n’avait pas décrit de nouvelles espèces entre le Sahara et l’Europe du nord. Pourquoi ne l’a-t-on pas trouvée plus tôt, se sont demandé les ornithologues français qui avaient raté cette découverte et celle de la Sittelle corse faite par un Anglais en 1983 ?
« Nous avons exploré plus tard le Djebel Tababor, qui s’élève comme une barrière entre le Babor et la mer, mais nous n’y n’avons rien trouvé, car ce djebel a subi des dégâts considérables pendant la Guerre de libération », racontera encore Ledant.
La Sittelle kabyle sera découverte en 1989 en plus grand nombre, plus au nord dans la forêt de chêne zéen du massif forestier de Guerrouch, dans le parc national de Taza (Jijel), puis encore en 1990 à l’est du Babor dans les forêts de chêne de Tamemtout et Djimla (Sétif).
Un cinquième biotope est localisé en 2018 dans un massif forestier de la région de Taher (Jijel), dans le massif forestier de Béni Afer, dans les communes de Oudjana et de Chahna.
Ces nouveaux biotopes ont remis en cause pour la première fois l’endémisme de la Sittelle kabyle au mont Babor ainsi que l’affinité présumée de l’espèce avec le sapin de Numidie, connu seulement au Babor.
Les chercheurs en ornithologie signalent la fragilité et la vulnérabilité de l’espèce, car même si par endroits le nombre de couple est élevé, l’aire de répartition actuelle de la Sittelle kabyle est fragmentée, ce qui signifie que cette espèce reste écologiquement menacée.
Mourad, le photographe qui regarde les animaux dans les yeux
Les chercheurs et les universitaires ne sont pas les seuls à chercher fiévreusement de nouveaux sites.
Dans cette course, on compte de nombreux photographes animaliers qui cherchent à tirer le portrait de l’oiseau emblématique. Ils sont superbement outillés en matériel photo et arpentent chaque week-end les massifs forestiers de Sétif, Jijel et Mila. Une concurrence impitoyable pour être… le prochain découvreur de Sittelle kabyle.