L’art et l’artisanat algériens se réinventent dans les concepts stores
Ces lieux hybrides où se mêlent art, artisanat et design chamboulent les codes d’une boutique classique, avec une préoccupation centrale : valoriser les artisans et les matériaux algériens
Vous avez peut-être croisé ses créations à l’hôtel El Boustane dans l’oasis d’El Menia, à l’Institut du monde arabe à Paris (IMA), ou même au… Japon : voilà quelques années déjà que Hassiba Boufedji s’attelle à valoriser les artisans algériens.
Diplômée de l’Ecole supérieure des beaux-arts d’Alger en design et aménagement, elle crée son atelier de conception de mobilier avant la fin de ses études : en 2010, La D’wira Chic, premier concept store en Algérie, voit le jour.
« Ma démarche à travers La D’wira Chic consiste à monter des projets en collaboration avec les artisans. Je n’achète pas de produits pour les revendre. Je conçois mes créations, notamment du mobilier, et je fais intervenir des artisans dans les différentes étapes de la conception », explique Hassiba à MyAlgeria.
« Ma première expérience s’est faite à Djanet, où j’ai travaillé avec des artisans pour intégrer du cuir sur du mobilier. Depuis, j’ai développé un réseau d’artisans avec une réelle dynamique économique. »
Au quotidien, Hassiba se déplace dans les différentes villes du pays pour travailler avec les artisans. « Mes artisans ne se trouvent pas forcément à Alger. Je me déplace pour des séjours, on fait des essais, on crée des prototypes, et le montage et la conception finale se font dans mon atelier à Alger », décrit-elle.
Chaises, tables, suspensions, luminaires, objets de décoration, installations murales… sont en fin de chaîne vendus dans le concept store situé à El Biar (Alger). Mais la collaboration de Hassiba avec les artisans dépasse les projets de conception. Depuis plusieurs années, la jeune femme est engagée dans le développement et l’épanouissement professionnels des personnes qui exercent une activité artisanale.
Jusqu’à Barcelone
Armée de détermination et de persévérance, Hassiba a donné aux produits artisanaux algériens une portée internationale.
« L’idée, à travers La D’wira Chic, était d’accompagner les artisans dans leur développement. Faire en sorte qu’ils évoluent, se modernisent, afin de répondre à des besoins contemporains, tout en gardant leur identité. »
A force de travail, elle parvient à placer des produits 100% algériens dans des lieux de prestige comme l’Institut du monde arabeà Paris, chez les parfumeurs Fragonard et d’autres enseignes internationales.
« J’ai travaillé en tant que consultante pour le Salon Maison & Objetde Paris. J’ai accompagné des artisans qui ont exposé pendant cinq ans dans ce prestigieux Salon. Une expérience qui a ouvert de nouveaux horizons pour l’artisanat algérien. Nous avons réussi à envoyer des créations jusqu’au Japon. C’est très gratifiant de voir le travail de nos artisans et nos savoir-faire dépasser les frontières locales », confie-t-elle.
Il y a quelques années, Hassiba a aussi dirigé le projet de réaménagement de l’hôtel El Boustane à El Menia. Une œuvre magistrale du célèbre architecte Fernand Pouillon.
« Pour son réaménagement, j’ai fait appel à des artisans de la région. Tout ce dont on avait besoin a été fabriqué localement. C’est dire combien nous disposons de compétences qu’il suffit d’accompagner », constate-t-elle.
En 2018, elle a également ouvert des enseignes à Valence et à Barcelone pour y vendre des produits issus du patrimoine matériel algérien.
De Touggourt à Tlemcen
Pour Raja Aoun, conceptrice de Lula Concept Store, à la fois marque et boutique, c’est aussi l’envie de « valoriser le patrimoine algérien » qui prévaut.
Situé à El Biar, Raja a ouvert son espace en 2019. « Lors d’un voyage en Jordanie en 2016, je me suis rendu compte que les artisans capitalisaient la moindre ressource, alors que nous, Algériens, ne valorisions pas suffisamment notre patrimoine. En rentrant de ce voyage, l’idée du concept store n’était pas encore claire dans mon esprit, mais j’étais décidée à faire quelque chose pour rendre le patrimoine de mon pays plus visible », raconte-t-elle à MyAlgeria.
Raja a d’abord voulu rendre hommage à la broderie traditionnelle de Touggourt, une oasis du nord du Sahara algérien, la ville de son père. Elle voulait décliner les motifs de cette broderie sur plusieurs supports et les exposer à la vente.
Lors d’un voyage à Tlemcen, elle décide de faire une collection reprenant les motifs du minaret de la mosquée Mansourah sur de la céramique.
Lula Concept adapte sa démarche pour honorer les savoir-faire artisanaux de chaque région d’Algérie.
« Lula Concept Store est né d’un amour profond pour l’Algérie. Chaque région de notre vaste pays a ses spécificités que l’on doit valoriser. Chacune de mes collections a une thématique liée à l’Algérie. J’honore à la fois un savoir-faire, une région et un patrimoine », souligne Raja.
Pour la jeune femme, qui travaillait dans le secteur pharmaceutique, la reconversion professionnelle s’imposait, même si les débuts n’ont pas été de tout repos.
« Il fallait trouver les artisans, aller à leur rencontre, leur proposer des collections », énumère-t-elle en expliquant sa démarche : choisir les produits, soumettre ses idées, introduire la notion design dans les créations.
D’un concept store à un autre, les œuvres changent, mais l’esprit reste le même : valoriser des savoir-faire algériens, montrer la diversité de la création artistique et artisanale que recèle l’Algérie.
Ces richesses, Ryma Bessaoud et Nadia Ben Allal, deux amies, ont décidé de les exposer à Oran : en décembre 2020, elles ouvrent Hirfa Concept Store, dans le quartier Gambetta, pour « donner de la visibilité aux savoir-faire de chaque région d’Algérie ».
Après des rencontres avec des artistes et artisans au fil des expositions, elles ficèlent leur projet pendant la première vague de la pandémie et quittent leur travail – Nadia, comptable, travaillait dans une banque, et Ryma est architecte d’intérieur– pour s’y consacrer entièrement.
« Hirfa Concept Store est comme une boutique de souvenirs ou de cadeaux. On veut que les gens puissent s’acheter ou offrir un objet qui porte l’identité algérienne et valorise un savoir-faire artisanal. On pense que le pari a été relevé puisque souvent les clients nous demandent des conseils en vue d’offrir un cadeau », racontent-elles, amusées, à MyAlgeria.
Bientôt un coin café
Hirfa Concept Store présente également ses propres collections.
« Nous avons travaillé avec un jeune céramiste basé à Alger pour créer notre propre vaisselle. Nous avons aussi fabriqué des poufs en cuir, des djellabas revisitées en kimonos avec des motifs berbères ou de la calligraphie. Nous avons conçu du mobilier, des paniers, etc. », énumèrent-elle en soulignant tout l’intérêt de diversifier les collaborations.
Bougies, vanneries, céramiques, produits cosmétique bios, produits du terroir, tableaux d’artistes… Ryma et Nadia veillent à ce qu’il y ait des produits accessibles à tous.
« Nous travaillons avec cinq céramistes différents. Il y a des pièces uniques et d’autres à petits prix. Nous voulons que chaque personne qui visite Hirfa puisse se payer un objet et se faire plaisir ! »
Hirfa Concept Store devrait bientôt développer un coin café où les clients pourraient aussi déguster des produits du terroir algérien.
Ryma et Nadia, qui aimeraient en priorité donner plus de visibilité aux artisans de l’Ouest, espèrent que la popularité de la boutique donnera des idées aux artisans isolés.
« Certains artisans font de l’excellent travail, seulement ils ne sont pas visibles : ils n’ont pas forcément des pages sur les réseaux sociaux, c’est donc difficile de les trouver. Mais depuis notre ouverture, ils sont de plus en plus nombreux à venir nous montrer leurs produits pour d’éventuelles collaborations », se félicitent-elles.
La récente visite du célèbre DJ, Dj Snake, dans le concept store devrait contribuer un peu plus à sa notoriété !
A Alger, Lila Djaffer, propriétaire du concept store Bohositué aux Sources, a commencé l’aventure par la création d’une marque de vêtements à la fois bohème et ethnique.
« J’ai toujours eu cet attrait pour la mode et le textile. Par exemple, quand on revient de voyage, on apporte souvent dans nos valises des cadeaux pour nos proches, des accessoires, mais aussi du textile », souligne Lila à MyAlgeria.
Coupes contemporaines
« En Algérie, on trouve de la haute couture mais rarement des créations algériennes que l’on peut porter lors d’une occasion professionnelle, qui soient confortables, modernes, avec une touche traditionnelle. C’est donc un peu la genèse de la marque Boho. Je voulais confectionner des vêtements aux coupes contemporaines avec des détails inspirés des modèles traditionnels algériens », souligne-t-elle.
Lila, qui peut se prévaloir d’un MBA, a occupé durant sa carrière des fonctions managériales dans des multinationales. Partie d’Algérie pendant son enfance, elle y revient en 2008 pour travailler dans la communication. En 2015, elle se met à son compte pour lancer, deux ans plus tard, la marque Boho.
Lila dessine ses modèles, choisit les tissus et la passementerie et sous-traite la conception dans un atelier algérois.
« J’ai revisité à travers ma marque de nombreuses tenues traditionnelles, notamment le burnous en cape et le bedroune en combinaison. La modernité se situe dans la coupe et le choix du tissu », précise-t-elle.
« Le but est de confectionner des vêtements confortables dans des tissus comme le lin et le coton, et qui rappellent une tenue de notre patrimoine en intégrant par exemple les broderies en fil d’or des robes traditionnelles. »
Avant l’ouverture du concept store, les articles de la marque Boho se vendaient exclusivement en ligne. Les modèles des différentes collections étaient publiés sur les réseaux sociaux et la livraison se faisait partout en Algérie.
« En participant à de nombreuses expositions où j’ai rencontré des artistes et artisans, l’idée d’un concept store a commencé à germer pour se concrétiser en octobre 2020 », raconte-t-elle.
Chez Boho, les clients trouvent aussi de la vannerie, des meubles, des objets de décoration, du tissage, des bijoux et des accessoires. Pour sa clientèle « souvent à la recherche de choses modernes et originales », Lila travaille en étroite collaboration avec des artisans afin que les pièces confectionnées répondent à la demande.
« Je suis à la recherche de pièces uniques. Pour n’en citer que quelques-uns, il y a les bendirs de l’artiste plasticien Noureddine Hamouche, sur lesquels il dessine des symboles berbères. Il y a aussi l’artiste-peintre Yedina qui transforme le tamis en miroir. »